
Contrairement à l’idée reçue, un voyage respectueux en territoire autochtone n’est pas une simple visite touristique, mais un acte de déconstruction personnelle qui transforme notre compréhension du Canada.
- L’ignorance de l’histoire coloniale n’est pas neutre ; elle alimente activement le racisme systémique contemporain.
- Le véritable respect ne réside pas dans une liste de gestes à faire, mais dans une posture d’humilité culturelle et d’écoute active.
Recommandation : Abandonnez la posture du touriste qui vient “découvrir” et adoptez celle de l’invité qui vient apprendre, écouter et reconnaître la souveraineté narrative des communautés qui vous accueillent.
De plus en plus de Canadiens et de Québécois ressentent un désir sincère de se rapprocher des cultures des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Cet élan est positif. Il témoigne d’une volonté de dépasser les récits simplifiés appris à l’école. Souvent, cette démarche commence par la planification d’un voyage, la recherche d’une expérience “authentique” ou l’envie d’acheter de l’artisanat local. On se concentre sur ce qu’il faut faire : apporter un cadeau, demander la permission pour une photo, ne pas dire certains mots. Ces gestes, bien qu’importants, ne sont que la surface.
Le risque est de rester dans une logique de consommateur, un touriste qui coche des cases sur une liste de “bonnes pratiques”. On cherche à ne pas offenser, mais on oublie l’essentiel. Et si la clé n’était pas dans ce qu’on *fait*, mais dans ce qu’on est prêt à *défaire* en soi ? La véritable rencontre exige plus qu’un protocole ; elle demande une posture d’humilité culturelle. Il s’agit d’accepter de ne pas savoir, de déconstruire nos propres certitudes héritées d’un système colonial et de reconnaître que nous entrons dans un univers qui a ses propres codes, son propre rythme et sa propre histoire, bien plus ancienne que celle du Canada.
Cet article n’est pas une simple liste de conseils. Il vous propose un changement de perspective. En tant que médiateur culturel issu des communautés innues et atikamekw, je vous invite à un parcours qui explore les racines du malaise, distingue le soutien de l’exploitation et transforme une simple visite en une relation respectueuse. Nous verrons pourquoi l’histoire est indissociable du présent, comment déjouer les pièges de nos propres bonnes intentions et comment une rencontre peut devenir un véritable acte de réconciliation.
Pour vous guider dans cette démarche essentielle, cet article est structuré pour vous accompagner pas à pas, de la prise de conscience historique aux actions concrètes pour une immersion respectueuse. Le sommaire ci-dessous vous donne un aperçu des étapes de ce parcours.
Sommaire : Comprendre et rencontrer les Premières Nations au Québec
- Pourquoi ne pas connaître l’histoire des Premières Nations maintient le racisme systémique canadien
- Comment organiser une visite dans une communauté innue sans offenser et en respectant les protocoles
- Les 7 gestes que vous croyez respectueux mais qui offensent les communautés autochtones au Québec
- Tourisme autochtone dirigé par les communautés vs exploitation : comment faire la différence au Québec
- Les 5 mythes sur les Premières Nations que même les Québécois progressistes croient encore
- Pourquoi les Québécois parlent encore de la Conquête de 1760 comme si c’était hier
- Les 7 réflexes de touriste qui signalent aux locaux que vous n’êtes pas prêt pour l’immersion
- Comment passer de touriste à quasi-local en 3 semaines d’immersion intensive au Pérou ou au Vietnam
Pourquoi ne pas connaître l’histoire des Premières Nations maintient le racisme systémique canadien
Il est confortable de penser que le racisme est une affaire d’individus mal intentionnés. Mais au Canada, il est avant tout systémique, tissé dans les fondations mêmes de nos institutions. Et son principal carburant n’est pas la haine, mais l’ignorance. Ne pas connaître l’histoire de la Loi sur les Indiens, des pensionnats autochtones ou des traités non respectés n’est pas une lacune neutre ; c’est un choix qui perpétue activement les injustices d’aujourd’hui. Sans ce contexte, les inégalités criantes que vivent les Autochtones semblent être des échecs individuels ou communautaires, plutôt que le résultat logique et direct de politiques coloniales délibérées.
Prenons un chiffre qui illustre cette réalité crûment. Au Canada, alors qu’ils ne forment que 5% de la population, les Autochtones représentent plus de 30% des détenus dans les prisons fédérales. Sans le savoir historique, on pourrait conclure à une criminalité innée. Avec le contexte – celui des traumatismes intergénérationnels causés par les pensionnats, de la dépossession territoriale, de la destruction des structures sociales et familiales – on comprend qu’il s’agit d’une conséquence directe et prévisible. L’ignorance historique permet de blâmer la victime.
Cette déconnexion crée un dialogue de sourds. D’un côté, des communautés autochtones qui vivent quotidiennement le poids de cette histoire. De l’autre, une société majoritaire qui, par manque d’éducation, ne voit pas le lien. Comme le soulignait Beverly Jacobs, avocate mohawk et ancienne présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada, le manque de connaissance de l’histoire des peuples voisins est une racine fondamentale de la discrimination. Chaque Canadien qui choisit de ne pas s’éduquer sur ce passé participe, involontairement peut-être, au maintien de ce système. Comprendre l’histoire n’est donc pas un exercice académique, c’est le premier pas obligatoire vers la déconstruction du racisme systémique.
L’effort de connaître ce passé n’est pas un fardeau, mais une responsabilité citoyenne qui ouvre la porte à une relation plus juste et éclairée.
Comment organiser une visite dans une communauté innue sans offenser et en respectant les protocoles
Organiser une visite dans une communauté, comme celles des Innus de la Côte-Nord, ne se résume pas à réserver un hébergement. C’est avant tout une démarche humaine qui demande une préparation et une posture d’humilité. L’erreur la plus commune est d’arriver avec une mentalité de touriste, prêt à “consommer” une culture. La bonne approche est celle de l’invité qui demande la permission d’entrer et qui a fait ses devoirs. Le respect ne se manifeste pas par un grand geste, mais par une multitude de petites attentions qui montrent que vous avez pris le temps de comprendre.
Cette préparation est un acte de souveraineté narrative : vous reconnaissez que l’histoire et la culture de la communauté lui appartiennent et vous vous positionnez en élève, non en expert. Il ne s’agit pas de devenir un spécialiste en quelques semaines, mais de montrer que vous avez commencé le travail d’écoute. Cela change radicalement la dynamique de la rencontre. Vous n’êtes plus un étranger curieux, mais un visiteur informé qui cherche à approfondir ses connaissances de manière respectueuse.
Étude de cas : l’invitation à la rencontre de Naomi Fontaine
L’approche de l’auteure innue Naomi Fontaine, originaire de Uashat, est un exemple parfait de cette démarche. À travers ses œuvres littéraires comme “Kuessipan” ou “Shuni”, elle n’expose pas sa culture comme un objet d’étude, mais invite le lecteur à adopter le regard innu sur le monde contemporain. Son travail d’enseignante et ses écrits sont une porte d’entrée magnifique pour comprendre les enjeux, les joies et les défis de sa communauté de l’intérieur. S’immerger dans ses livres avant une visite, c’est déjà commencer la rencontre, c’est accepter son invitation à voir le monde différemment.
Votre plan d’action pour une préparation respectueuse
- S’éduquer en amont : Lire des auteurs innus contemporains comme Naomi Fontaine ou Joséphine Bacon pour comprendre les enjeux actuels de leur point de vue.
- Consulter les sources officielles : Visiter les sites web des Conseils de bande (par ex. Essipit, Uashat mak Mani-Utenam) pour connaître leurs projets, leurs entreprises touristiques et leurs priorités.
- Connaître les protocoles de base : Apprendre que le tabac est souvent offert en signe de respect avant de poser une question importante à un Aîné ou pour remercier d’un enseignement.
- Apprivoiser le silence : Comprendre que dans de nombreuses cultures autochtones, le silence dans une conversation n’est pas un vide à combler, mais un espace d’écoute, de réflexion et de respect.
- Préparer l’après-visite : S’engager à acheter directement auprès des artisans locaux et à partager son expérience de manière positive et nuancée, en évitant les clichés folkloriques.
Cette préparation n’est pas une contrainte, mais le début même de l’échange. Elle transforme votre présence sur le territoire, passant d’une intrusion à une interaction consentie et mutuellement enrichissante.
Les 7 gestes que vous croyez respectueux mais qui offensent les communautés autochtones au Québec
L’intention de bien faire est louable, mais elle peut parfois mener à des maladresses qui, loin de créer des ponts, renforcent les stéréotypes ou causent un malaise. Ces faux pas culturels naissent souvent d’une méconnaissance des dynamiques de pouvoir et de l’histoire. Ils ne partent pas d’une mauvaise intention, mais signalent à votre interlocuteur que vous êtes encore prisonnier de clichés, même bienveillants. Reconnaître ces gestes est un exercice d’humilité culturelle essentiel.
