Published on June 15, 2024

La disparition annoncée des métiers d’art québécois n’est pas une fatalité économique, mais une rupture critique dans la chaîne de transmission entre maîtres et apprentis.

  • Plusieurs savoir-faire ancestraux, comme la dentelle ou le canot d’écorce, ne sont plus détenus que par une poignée de maîtres artisans vieillissants.
  • L’apprentissage véritable va au-delà du simple stage : il exige un pacte de respect et une discipline rigoureuse, souvent sous-estimés par les aspirants.

Recommandation : La survie de ce patrimoine immatériel repose sur votre engagement actif à devenir le prochain maillon de la chaîne en cherchant un maître et en vous soumettant à ses exigences.

Le son du marteau sur l’enclume, le parfum du bois fraîchement taillé, le cliquetis des fuseaux de la dentellière… Ces échos d’un Québec des artisans s’estompent. On entend souvent dire qu’il faut « acheter local » pour soutenir nos créateurs, et c’est une vérité. Mais ce soutien, bien que nécessaire, ne s’attaque pas à la racine du mal qui ronge nos savoir-faire. Le véritable drame se joue en silence, dans les ateliers qui se vident, où les derniers maîtres voient leurs gestes, polis par des générations, menacés de s’éteindre avec eux.

La menace n’est pas seulement économique, face à la production de masse. Elle est plus profonde. C’est une crise de la transmission. Nous avons collectivement oublié que l’artisanat n’est pas qu’un produit fini, mais un long cheminement d’apprentissage, un dialogue patient entre celui qui sait et celui qui désire apprendre. La véritable question n’est plus seulement de savoir si nous achetons leurs créations, mais de savoir qui prendra leur place à l’établi, à la forge ou au tour.

Cet article n’est pas une complainte. C’est un appel. Un appel à vous, passionnés de la matière, créateurs en devenir. Nous allons regarder la menace en face, en identifiant les métiers au bord du gouffre. Mais surtout, nous tracerons le chemin pour passer de l’admiration à l’action. Car si la clé n’était pas d’être un simple consommateur, mais de devenir le prochain maillon d’une chaîne millénaire ? Nous verrons comment trouver un maître, ce qu’il attend de vous, et comment faire de cette passion un projet de vie, assurant ainsi que ces gestes ne deviennent pas de simples souvenirs de musée.

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Pour comprendre l’ampleur du défi et les chemins qui s’offrent à vous, cet article explore les facettes de cette course contre la montre. Du constat alarmant aux solutions concrètes, voici le parcours que nous vous proposons.

Pourquoi la forge traditionnelle québécoise perd 2 maîtres-artisans par année sans relève formée

La forge n’est pas un métier, c’est un sacerdoce. La chaleur, la sueur, le choc du métal sont le quotidien d’un art qui a façonné le Québec. Pourtant, ce son s’éteint. Chaque année, nous perdons des maîtres forgerons, non seulement à cause de l’âge, mais aussi par l’usure d’un travail d’une grande dureté physique. La relève, elle, se fait rare, souvent découragée par l’investissement en temps et en énergie nécessaire pour maîtriser ne serait-ce que les bases. Le problème n’est pas un manque d’intérêt pour l’objet fini, mais une méconnaissance profonde de l’engagement total qu’exige le processus.

Le métier est physiquement exigeant, un domaine où le risque est omniprésent. Bien que les accidents graves en forge soient rares grâce à l’expérience, le contexte général des métiers manuels au Québec souligne cette réalité. On observe une augmentation globale des accidents, comme en témoigne la récente hausse à 246 décès liés au travail au Québec en 2024, un chiffre qui rappelle la nécessité de la prévention et de la formation rigoureuse. Cette dureté inhérente au métier de forgeron, combinée à une rentabilité difficile à atteindre pour un débutant, crée un obstacle majeur à la transmission.

L’enjeu n’est donc pas de former des amateurs, mais de cultiver une nouvelle génération de professionnels capables d’endurer l’épreuve du feu, au sens propre comme au figuré. Sans un programme de compagnonnage structuré et valorisé, qui assure à l’apprenti un chemin viable vers la maîtrise et l’autonomie, la forge traditionnelle québécoise est condamnée à devenir une simple attraction de foire médiévale. Le savoir ne se transmet pas par des vidéos YouTube ; il se forge dans la discipline de l’atelier, aux côtés d’un maître.

Les 5 techniques artisanales québécoises qui n’ont plus que 3 à 8 maîtres vivants au Québec

Si la forge est en sursis, d’autres métiers sont déjà au seuil de l’extinction. Imaginez un savoir-faire, poli par des siècles d’histoire, ne reposant plus que sur les mains et la mémoire d’une poignée de personnes. C’est la situation critique de plusieurs techniques au Québec. La dentelle aux fuseaux, un art de patience et de complexité vieux de 400 ans, ne compte plus qu’une poignée de maîtres capables de réaliser des pièces complexes et, surtout, de former la relève. De même, la gainerie, l’art de recouvrir de cuir des objets, ou encore certaines techniques de vannerie spécifiques à nos régions, sont portées par des artisans de plus de 70 ans, sans successeurs désignés.

Le décompte est alarmant. Pour des métiers comme la conception de vitraux traditionnels au plomb, la construction de certains types de raquettes en babiche ou le savoir-faire des tavaillonneurs (fabricants de bardeaux de cèdre), le nombre de véritables maîtres se compte sur les doigts d’une main. Lorsque ces personnes ne pourront plus transmettre, c’est tout un pan de notre patrimoine immatériel qui disparaîtra à jamais. La perte n’est pas seulement technique ; elle est culturelle. C’est la perte d’un vocabulaire, d’une relation à la matière et d’une histoire locale.

Mains expertes d'une dentellière québécoise travaillant sur une pièce de dentelle traditionnelle
Written by Élise Tremblay, Élise Tremblay est muséologue et médiatrice culturelle depuis 14 ans, titulaire d'une maîtrise en muséologie de l'Université de Montréal et membre de la Société des musées du Québec. Elle occupe actuellement le poste de responsable des programmes éducatifs et de médiation au Musée de la civilisation de Québec, où elle conçoit des parcours d'interprétation du patrimoine vivant.